Son Altesse Cyberissime : la sauce brune du Kremlin (partie 3)

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(Suite de la Partie 2)


Jean-Malko regardait anxieusement par la fenêtre de l’hélicoptère, les yeux perdus dans le lointain. En face de lui, Jean-Nasir et Gérard Depardieu échangeaient quelques plaisanteries grivoises, innocents enfants inconscients du danger qui menaçait leur tête. La vengeance est un plat qui se mange froid, et Vladimir avait suffisamment de place dans son congélateur pour trois cadavres supplémentaires. Leur petite escapade aurait facilement pu lui coûter la vie.

Il fut brutalement tiré de ses réflexions lorsque le pilote tira violemment sur le manche en lâchant une bordée de jurons à faire rougir une prostituée thaïlandaise. Jean-Malko se retourna et découvrit une scène invraisemblable : les cieux étaient embrasés par un mur de feu infranchissable, leur barrant le passage depuis le sol jusqu’aux confins de la stratosphère. Le pilote évita l’obstacle de justesse, stabilisant tant bien que mal son appareil.

Un rire aigre éclata soudain à travers le haut-parleur de la radio, emplissant la cabine de ses échos sinistres. « Tu es fait comme une souris à boule, Jean-Malko ! Je t’ai bien eu, avec mon firewall, petit pentesteur de mes couilles. Et je vais avoir l’immense plaisir de savourer ta mort en direct, depuis en bas ! Tu me vois ? »

Si Jean-Malko fut surpris de découvrir l’identité du traître, il n’en laissa rien paraître. La voix comme l’apparence physique de la petite silouhette gesticulant au sol ne permettaient aucun doute ; ils avaient été trahis par Denis l’Expert, qui travaillait probablement pour Vladimir depuis aussi longtemps que Gérard Depardieu travaillait pour la France. Tout prenait sens, à présent ; son étrange obsession pour la sécurité homéopathique, sa crainte de la red team qui conférait à la paranoïa, et surtout, le foirage quasi-intégral de leur opsec. Avait-il agi par idéologie, ou sous la contrainte ? Peu importait. Jean-Malko comptait bien broyer les testicules de cette taupe jusqu’à la rendre capable de doubler René.

Jean-Malko agrippa l’épaule du pilote, qui luttait toujours pour éviter l’ouragan de feu. « Ne vous inquiétez pas, je connais son point faible. Ce mur a été conçu pour ne laisser passer que le trafic HTTPS ; volez exactement à 443 mètres au dessus du sol, et nous passerons. » « C’est absolument impossible, Monsieur », rétorqua le pilote. « Notre appareil est trop lourdement chargé. Sauf si vous lâchez du l35t. » Il lança un regard appuyé en direction du pauvre Gérard.

Depuis le plancher des vaches, Denis savourait sa victoire. L’appareil, balloté par la tempête flamboyante, rebroussait chemin. Satisfait, le traître empoigna son téléphone mobile et commença à composer un texto pour informer Vladimir de sa brillante réussite. La dernière image traitée par son cortex visuel fut celle de l’icône qui l’informait de l’absence de réseau mobile dans la région. Il n’eut même pas le temps de ressentir la douleur lorsque la masse d’une demi-tonne, larguée de l’hélicoptère, entra en collision avec son occiput, réduisant instantanément le contenu de sa boîte crânienne en une fine pulpe rosâtre.

« Merci, Gérard, votre sacrifice pour la nation ne sera pas oublié », lanca Jean-Malko, des trémolos dans la voix. « C’est rien, mon petit pote », répondit Gérard Depardieu. « Honnêtement, je ne sais même plus trop pourquoi je transportais ce piano à queue dans mes bagages. Regardez, on reprend de l’altitude. Ecoutez, je voulais vous dire, pour ce matin… Merci de… enfin, le sauvetage, tout ça, comment dire… zut, j’en perds mes mots. » Gérard bafouillait comme une collégienne en pleine puberté. Son regard croisa celui de Jean-Malko, leurs visages se firent face, leurs lèvres se rapprochèrent. Soudainement, les yeux de Gérard s’ecarquillèrent, et il laissa échapper un râle alors qu’un filet de sang coulait le long de son menton. Il baissa la tête et contempla sans comprendre la tige de métal acéré qui sortait de son poumon droit, puis s’effondra sur le sol de la cabine.

Jean-Malko contempla avec horreur le corps inerte de celui pour qui il avait risqué sa vie. Après l’avoir tiré des griffes des soviétiques, il marinait maintenant dans son raisiné. La tige était le prolongement d’un être cauchemardesque, vaguement humanoïde, luisant comme du chrome liquide. La chose ondula quelques instants, avant de prendre définitivement forme humaine. Il eut à peine le temps d’esquiver son assaut, alors que Jean-Nasir tentait désespérément de reprendre les commandes de leur pilote, lui aussi mortellement touché.


(Suivi par la Partie 4)