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Son Altesse Cyberissime : la sauce brune du Kremlin (partie 2)
(Suite de la Partie 1)
Jean-Malko se trouvait dans une position fort délicate. Mais insensiblement, de vanne pourrie en vanne pourrie, le combat tournait à son avantage. Le moment était venu de donner le coup de grâce ; il glissa la main dans la poche arrière de son pantalon et dégaina son Macbook extra-plat. Son adversaire, prenant soudainement la mesure du danger, rugit tel une ourse sibérienne sortant d’hibernation, et se précipita vers Jean-Malko, mais pas assez vite pour esquiver la fork bomb lancée par le français. La bombe lacéra sa table des processus, faisant exploser les services les uns après les autres. Le corps de Vladimir tressauta, avant de retomber en une pluie de milliers de goutelettes argentées avec un bruit de friture, formant une flaque luisante et amorphe sur le sol en béton de la planque. Devant les yeux incrédules de Jean-Malko, la flaque sembla alors glisser d’elle-même, vers une prise RJ45 dans le mur, ou elle s’engouffra et disparut en quelques secondes. Avant qu’il n’aie eu le temps de réagir, son implacable ennemi s’était enfui, sans laisser la moindre trace.
Le français se précipita dehors, pour tomber nez-à-nez avec une Twingo décapotable noire à l’aspect familier. Il eut un instant d’hésitation, rapidement remplacé par un immense soulagement quand il reconnut le conducteur. Jean-Malko s’engouffra à l’arrière du véhicule et claqua la portière, avant de s’accorder un instant pour reprendre son souffle tandis que son sauveur providentiel démarrait en trombe. Encore une fois, il venait de se faire sauver la mise in extremis par son acolyte de toujours, le fidèle Jean-Nasir. Il lui chuchota une addresse, et s’effondra sur la banquette.
Pendant le trajet, Jean-Malko songea avec reconnaissance à leur première rencontre, pendant l’affaire du Secret du Spearphishing. La grande guerre de World of Warcraft venait de débuter, et Jean-Nasir, alors membre du MLC1, lui avait sauvé la mise en l’empêchant de tomber dans un piège mortel tendu par les sbires de l’empire des Fermiers Chinois. Il ne l’avait depuis plus quitté, lui sauvant successivement la mise pendant l’affaire de la Grande Pyramide de Ponzi, et celle du Secret du Fingerprint Jaune.
Jean-Malko interrompit ses réflexions alors que son dévoué serviteur donnait un brutal coup de frein, faisant crisser les pneus de la Twingo. Leur voiture se tenait en face d’un sinistre bâtiment aveugle, au milieu de la zone industrielle. Si les informations dérobées au chauve étaient bonnes, cet endroit abritait une base arrière du GRU, dans laquelle les deux hackers français disparus étaient retenus quelque part.
Son Macbook extra-plat dans les mains, Jean-Malko se dirigea vers la porte branlante qui semblait la seule entrée possible dans l’édifice. Il l’enfonça d’un puissant coup de reins, et fit irruption dans le grand hall presque vide. Quelques ordinateurs y vrombissaient silencieusement, derrière des bureaux recouverts de cadavres de Club Mate. Le sol y était recouvert de fléchettes en mousse, dont Jean-Malko n’osait spéculer l’usage. Contre le mur ouest se tenait une rangée de cellules, dans l’ombre desquelles se tenaient quelques silhouettes humanoïdes. Au loin, on entendait un brouhaha de cris et d’encouragements. Jean-Malko remercia intérieurement sa bonne étoile : par un heureux hasard, les cyber-guerriers habitant cet endroit étaient tous en salle de pause, probablement occupés à disputer une partie de Mario Kart. Une aussi belle occasion d’agir ne se représenterait certainement pas de sitôt. Rasant les murs, il se glissa jusqu’à la première cellule.
Lorsqu’il reconnut le prisonnier, les yeux de Jean-Malko s’agrandirent à la même vitesse que son sexe surdimensionné devant une photo osée de sa chère Adaline. Il était là, devant lui, en chair et en os ; le plus grand agent de renseignement cyber que la nation tricolore aie porté en son sein.
« Bon Dieu, Gérard, c’est vous ? »
C’était bien lui. Gérard Depardieu, le hacker ultime qui, sous couvert d’évasion fiscale, volait secrètement dans les plumes de cette dinde de Mère Russie. Tel Père Dodu affutant son hachoir en salivant devant une belle poitrine, il coordonnait d’une seule main toutes les opérations cyber au-delà du 16ème méridien. Mais maintenant, il s’était fait prendre ladite main dans le sac par les Tovarichs, et sa peau ne valait guère plus un kopeck.
« Jean-Malko ? C’est le Ciel qui vous envoie. Ces enfoirés s’apprêtaient à jouer au jeu de la vie avec nous. » L’infortuné captif toussa bruyamment. « Regardez ce qu’ils m’ont fait… je ne pourrai plus jamais pwner, maintenant. Je ne peux m’enfuir tout seul. Vous devrez me porter. » Jean-Malko contempla avec horreur les mains de son infortuné collègue, dont les deux index étaient cruellement emprisonnés par un piège à doigts chinois.
« Oh, les fils de chacals putrides. Tenez bon, Gérard, on va vous sortir de là. » Jean-Malko traîna l’imposante masse de gras de son collègue évanoui à travers le hall, contournant les canettes de Red Bull vides et les emballages de Kit Kat, jusqu’à la sortie où les attendait Jean-Nasir. Il chargea le corps immobile dans le coffre de la Twingo, puis s’installa à la place du mort, épuisé. Encore quelques heures, et ils s’envoleraient pour la Gaule, douillettement installés dans une Gazelle SA 342, avec la satisfaction du devoir accompli pour la patrie.
Tout à son contentement, Jean-Malko ne remarqua pas le mince filet de liquide argenté qui, défiant la gravité, suintait depuis sa basket gauche, remontant le long de sa jambe, pour s’immiscer dans le port USB de son Macbook.
(Suivi par la Partie 3)
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Moderately Leet Crew ↩
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