Son Altesse Cyberissime : la sauce brune du Kremlin (partie 1)

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Coup de théâtre d’envergure la semaine dernière, alors que Florence Parly, ministre des Armées, a dévoilé l’intégration de l’arme numérique à l’arsenal offensif français. La révélation publique de cette prise de position auparavant gardée comme un secret de Polichinelle, a eu pour effet de déclassifier certains dossiers de la DGSE. Parmi ces dossiers, beaucoup permettent de retracer l’histoire du plus grand hacker de France, Jean-Malko Pingue.

Infauxsec News et le chroniqueur Gérard de Villeet lancent donc « Les Chroniques de Jean-Malko », une saga en plusieurs épisodes retraçant les plus belles missions du plus grand hacker de France. Dans ce premier épisode, Gérard nous emmène dans les tréfonds de la Sibérie et de l’opération de la sauce brune du Kremlin.


« Réveille-toi, Dourak, le patron veut te parler ». L’homme à la chapka ponctua ses propos d’un gigantesque coup de poing dans la figure de Jean-Malko, envoyant valser deux de ses incisives contre le mur de la cellule. Alors qu’un filet de sang s’écoulait le long de sa joue entaillée, le valeureux cyber-guerrier tenta tant bien que mal de reprendre ses esprits. Il repensa au concours de circonstances qui l’avait amené ici, dans le sous-sol mal éclairé d’une petite maison abandonnée, dans la banlieue de Tomsk, en Sibérie.

Il s’était pourtant juré de ne jamais reprendre de service, après le désastre de l’opération ARP Poisoning du Gange. En pleurant la disparition de ses deux valeureux collègues, il avait remis sa démission au ministre de la défense, avant de sauter dans le premier avion pour le Tibet. De là, il s’était rendu directement au temple Shaoleet, où il s’était enfermé dans la vie monacale en tentant désespérément d’oublier son passé. Pendant trois longues années, il avait eu la paix, jusqu’à ce coup de téléphone fatidique du boulevard Mortier, un matin de septembre.

En abandonnant son passé, il avait fait une croix sur les opérations offensives, mais là, c’était différent. Une équipe de cyber-guerriers, l’élite de la nation française, avait été capturée en plein territoire ennemi, une première pour une situation de ce type. Quoi qu’il se soit passé, les petits gars étaient maintenant dans de sales draps, et leurs gardiens n’avaient rien de bisounours ; il fallait les sortir de là. C’est pour ça qu’ils avaient fait appel à lui, le hacker ultime, le meilleur cyber-guerrier que la France aie porté en son sein. Jean-Malko n’était pas revanchard, mais il avait un compte personnel à régler avec ces fils de pute de ruskovs ; et il comptait bien fourrer son poing entier, rempli du miel de la victoire, dans le fion de ces salopards de la bande de l’Ours Douillet.

Sa dernière nuit en france, il l’avait passée avec Adaline. Elle avait très mal pris la nouvelle, et s’inquiétait follement pour lui. Peut-être jalousait-elle par avance les femmes qui succomberaient inévitablement au charme irrésistible de ses lunettes de hipster et de son visage constellé de comédons. Elle avait catégoriquement refusé de le laisser repartir sans avoir fait l’amour une dernière fois. Il gardait encore le souvenir de son visage enfoui dans son opulente poitrine, tandis qu’elle chevauchait son unité centrale tout en faisant glisser sensuellement ses mains sur son clavier. Le lendemain matin, il s’était glissé en catimini hors du studio dans la cave de ses parents, sans même lui laisser un mot d’adieu ; une heure plus tard, il s’envolait pour Moscou avec son fidèle macbook et deux t-shirts de rechange.

Hélas, le plan minutieusement établi par les débiles en costard planqués au QG s’était effondré comme un château de cartes réseau. Il était pourtant arrivé sans encombre place Loubianka, grâce à son immense talent d’acteur et à son costume parfaitement imité de technicien de la FNAC. De là, il avait pu s’introduire dans les réseaux les plus sécurisés du FSB, via les points d’accès wifi préalablement parachutés sur les lieux depuis un drone espion. Son opsec était parfaite. Aucun doute possible : ils avaient été trahis de l’intérieur.

Jean-Malko s’interrompit dans sa réflexion, alors que l’homme à la chapka et le chauve aux oreilles décollées s’affairaient à le ligoter sur une chaise de dentiste rouillée. « Allez niquer vos mères en javascript, bande de lopettes. Et allez dire à votre patron que je l’encule de travers avec du verre pilé », lança-t-il à ses geôliers en postillonnant de l’hémoglobine à tour de bras.

« Ah, le petit pizdabol veut jouer au dur, » ricana le chauve en exhibant ses dents pourries. « Il rigolera moins après quelques heures de traitement. On le présentera à Vladimir plus tard », répondit l’homme à la chapka en glissant un casque audio sur les oreilles ensanglantées de Jean-Malko.

Cela faisait maintenant quarante-huit heures que Jean-Malko était ligoté sur sa chaise, nu, en face de l’écran de 70 pouces diffusant en boucle une vidéo de Rick Astley dont le son assourdissant lui violait inlassablement les oreilles à travers l’infernal casque. Quarante-huit heures qu’il tenait bon. À travers la cacophonie, il reconnut le bruit d’une clef déverouillant une serrure rouillée. Trente secondes plus tard, le chauve gisait sur le sol dans une flaque de vomi en se tenant les côtes, tandis que l’homme à la chapka tentait désespérément de se contorsionner pour échapper a l’étreinte de silicium de Jean-Malko, et d’éloigner sa carotide de la lame du fidèle couteau suisse de ce dernier. « La prochaine fois que vous essayerez de me torturer, un petit conseil : évitez les techniques psychologiques à la con. Je traîne sur IRC depuis 1992, j’ai perdu au jeu des centaines de milliers de fois. Vous croyiez vraiment me faire craquer avec trois jours de rickroll ? Yippie-ki-yay, pauvre con. » D’un violent coup de pied, Jean-Malko envoya son tortionnaire valser sur le sol de la sinistre salle, avant de refermer et de verrouiller la porte.

« Hé, Jean-Malko, tu t’es perdu ? »

Une perte instantanée au jeu lui vrilla le cerveau. Alors que son mental encaissait de son mieux, il réalisa soudain avec effroi l’identité de l’étranger qui se tenait sur le seuil du couloir. Aucun doute n’était possible ; le grand méchant de l’histoire, Vladimir Poutine en personne, se tenait devant lui, le torse nu encore ruisselant des eaux glacées du Tom après son combat aquatique à mains nues avec un tigre de Sibérie. Il était devant lui, et il le défiait en duel.

Jean-Malko prit une profonde inspiration. Il se remémora les passes enseignés par son maître, le vieux moine 404, pendant les longs hivers tibétains. Son arsenal de jeux de mots pourris jaillit soudainement des tréfonds de sa mémoire. Il lança témérairement à son adversaire: « Et alors, Poutine ? Tu te liquéfies de peur ? Telle la sauce brune sur des frites de mauvaise qualité ? » Aucun doute, ses vieux réflexes étaient bien revenus. il était prêt au combat.


(Suivi par la Partie 2)